Chirurgie cardiaque : vaut-il mieux opérer l’après midi ?
INTERVIEW AVEC LES AUTEURS DU TRAVAIL
« INCIDENCE DU MOMENT DE LA JOURNÉE SUR LE RISQUE DE COMPLICATIONS APRÈS CHIRURGIE CARDIAQUE »
L’équipe lilloise des Professeurs David Montaigne et Bart Staels1 ont découvert un impact du moment de la journée sur l’incidence des pathologies cardiaques impliquant l’horloge moléculaire circadienne dans le cœur. Cette découverte découle des premières recherches effectuées dans les années 1970-80 mettant en avant l’existence d’une horloge moléculaire au sein de chaque cellule de l’organisme, récemment récompensées par le prix Nobel de Physiologie et Médecine 2017. Ces découvertes laissent entrevoir de nouvelles approches thérapeutiques dans la pathologie cardiaque, et plus précisément dans le contexte de l’infarctus. Ces travaux soutenus par la Fédération Française de Cardiologie sont publiés dans la revue médicale The Lancet datée du 26 octobre 2017.
Retour avec les Dr Maréchal, Professeurs Montaigne et Staels sur l’histoire et les conclusions de ce travail de recherche.
1- Pouvez-vous nous expliquer les éléments qui ont conduit votre équipe à travailler sur le sujet ?
Le projet a vu le jour lorsqu’un groupe de cardiologues et physiologistes2 mené par Xavier Maréchal et David Montaigne, travaillant sur les complications de la chirurgie à cœur ouvert, et un groupe de biologistes dirigé par Bart Staels, travaillant sur les perturbations des rythmes biologiques, se sont associés.
La chirurgie cardiaque, et la chirurgie valvulaire cardiaque en particulier, sont des chirurgies très bien réglées et maîtrisées depuis de nombreuses années, avec très peu de complications majeures.
Cependant, certains patients développent des complications les semaines suivant la chirurgie qui entravent le retour à une vie normale malgré une « intervention chirurgicale réussie » : une arythmie (fibrillation atriale) se développe par exemple chez un quart des patients les jours suivants la chirurgie, et 10 à 20% des patients opérés de valve aortique continuent à présenter une insuffisance cardiaque malgré le rétablissement d’un fonctionnement normal de la valve. Nous pensons qu’une partie de cette insuffisance cardiaque fait suite aux dommages subis par le cœur en raison d’un apport en oxygène qui ne peut pas être optimal pendant la chirurgie cardiaque. En tant que médecin, nous manquons de traitement pour protéger le cœur des dommages liés à une privation en oxygène, ce que nous appelons « ischémie ».
Depuis le début des années 2010, les études sur les rongeurs plaident clairement en faveur d’une variation de tolérance du cœur à la privation en oxygène en fonction du moment de la journée. Le fonctionnement de l’organisme est soumis à un rythme biologique, calé sur un cycle d’une journée de 24 heures. Ce rythme régule la quasi-totalité de nos fonctions biologiques. Il est le fruit de l’interaction entre une horloge centrale au niveau du cerveau et d’horloges périphériques localisées dans chaque organe (cœur, foie, muscles…). Ces horloges périphériques permettent d’optimiser le fonctionnement de chaque organe en fonction du contexte environnemental. Les acteurs moléculaires de ces horloges biologiques sont des protéines et gènes (dont la protéine Rev-erbɑ étudiée ici) qui interagissent entre eux selon un rythme de 24h et modulent en cascade le fonctionnement cellulaire sur un rythme circadien. L’horloge moléculaire est présente dans chacune des cellules de l’organisme.
Ainsi, nous avons décidé avec notre équipe chirurgicale d’effectuer une étude pour tester l’hypothèse selon laquelle le moment de la chirurgie cardiaque influence l’histoire des patients les mois suivants cette intervention.
L’objectif à terme est de découvrir des nouvelles stratégies pour protéger le cœur en pathologie.
2- Quels ont été vos principaux résultats ?
En accord parfait avec les travaux antérieurs sur souris, nous avons montré que le cœur humain tolère mieux une privation en oxygène durant l’après-midi et que cela est associé dans le contexte de la chirurgie cardiaque à une meilleure récupération les mois suivants l’opération : les patients opérés l’après-midi présentent moins d’insuffisance cardiaque que ceux opérés le matin, en cause un rôle direct des protéines de l’horloge biologique dans la souffrance des cellules du cœur à la privation en oxygène.
Nous avons aussi montré qu’il était possible de contre-carrer la souffrance du cœur le matin en empêchant chez des souris le fonctionnement de la protéine Rev-erbɑ qui est un des engrenages constituant l’horloge biologique.
3- Les patients qui se font opérés le matin doivent donc être inquiets ? Est-il nécessaire de décaler toutes les chirurgies cardiaques à l’après-midi ?
Absolument pas. La chirurgie cardiaque est extrêmement sûre de nos jours et il n’y a quasiment aucune complication majeure comme bien montré dans notre travail. Décaler le moment d’une chirurgie pour les patients à faible risque de complication (la majorité des patients) n’a pas de sens. C’est une chose à envisager uniquement pour les patients identifiés par le chirurgien comme à très haut risque de complication.
Par ailleurs, des travaux sont menés pour définir le meilleur moment de la journée pour chaque type de patient à « haut risque ».
L’avenir à notre sens n’est pas de décaler le moment d’une chirurgie mais de développer des médicaments qui modifieraient le fonctionnement de l’horloge biologique pour une application certes dans la chirurgie cardiaque mais aussi et surtout dans les autres contextes d’ischémie du cœur : infarctus du myocarde et transplantation d’organe.
4- Autre chose pour conclure ?
Il n’y a pas de recherche sans financement. Nous voulons insister sur le rôle majeur de la Fédération Française de Cardiologie dans le soutien qu’elle apporte à la recherche dans le domaine cardio-vasculaire en France, à travers le financement des projets mais aussi des jeunes chercheurs. Notre étude en est un bel exemple.
Xavier Maréchal, David Montaigne & Bart Staels
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- Faculté de Médecine & de Pharmacie-Université de Lille, Explorations Fonctionnelles Cardio-Vasculaires – CHU de Lille, Biochimie automatisée pathologies des protéines – CHU de Lille, Institut Pasteur de Lille, Inserm.
- Professionnel étudiant le fonctionnement normal du corps.